ENSEIGNEMENT (PROGRAMMATION ET TECHNOLOGIE DE L’) - Les technologies audiovisuelles

ENSEIGNEMENT (PROGRAMMATION ET TECHNOLOGIE DE L’) - Les technologies audiovisuelles
ENSEIGNEMENT (PROGRAMMATION ET TECHNOLOGIE DE L’) - Les technologies audiovisuelles

Les nomenclatures classiques des techniques audiovisuelles masquent les questions fondamentales posées par le développement prodigieux des technologies correspondantes. Ces questions concernent d’abord les rapports entre l’image et le discours qui s’établissent à l’occasion d’une application particulière, celle des méthodes audiovisuelles d’apprentissage des langues. La généralisation des technologies audiovisuelles, prises comme mass media, a conduit à opposer à la culture humaniste classique, dite en réseau, une culture moderne, dite en mosaïque. Mais finalement l’articulation de ces technologies avec les techniques de l’informatique, qui aboutit à la génération d’images par un calcul reposant sur la logique «binaire» du langage «digital», amorce la réconciliation entre ces deux types de culture.

Le problème de l’articulation de l’image et du discours

La diversité des techniques audiovisuelles soulève un problème de classification. Le premier classement, le plus commode, s’est opéré en fonction des appareils sensoriels sollicités: matériaux graphiques, projections fixes, films animés muets, pour la vue; programmes radiophoniques, disques, bandes magnétiques, pour l’ouïe; radio-vision, films sonores, émissions de télévision, faisant appel conjointement aux deux sens, visuel et auditif. Ce classement-inventaire repose sur un découpage sans grand intérêt. Il a pourtant conditionné les premières recherches, préoccupées de comparer les efficacités respectives de la transmission d’un message par différents canaux. On ne compte plus les recherches américaines de ce type... et leurs répliques européennes! Bien qu’elles aient apporté des renseignements utiles sur la rentabilité des différents moyens utilisés, elles présentent un intérêt pédagogique médiocre, du fait de leur problématique triviale et de leur méthodologie étriquée.

Privilégier ainsi les techniques, le hardware, le matériel, revient à postuler la spécificité des médias au détriment du software, des messages véhiculés par ces médias. Certains se satisfont à bon compte de la formule de Marshall MacLuhan: «Le médium, c’est le message.» Cette conception qui fait de tout média une «prothèse» du corps humain comporte, certes, une part de vérité. Mais la prise en compte de la spécificité d’un média ne nous autorise pas à en déduire a priori l’efficacité réelle.

En bref, les technologies audiovisuelles engendrent des processus de formation qui transcendent les produits fabriqués par les techniques audiovisuelles. Deux exemples significatifs aideront à le montrer. Le premier, relatif au développement des méthodes audiovisuelles utilisées pour les langues, concerne l’application de ces nouvelles techniques à l’apprentissage rigoureusement contrôlé d’un savoir particulier. Le second, relatif à l’impact des mass media, concerne les effets d’une diffusion massive sur le développement culturel général.

Il convient d’abord de rappeler ceux des principes de la linguistique moderne qui sont au fondement des méthodes audiovisuelles: la langue parlée précède la langue écrite; une langue s’organise en des structures hiérarchisées selon leur utilité et leur fréquence d’occurrence; c’est une forme de comportement qui requiert que les structures enseignées le soient «en situation»; dans un contexte concret et vivant. Chaque leçon d’une méthode est matérialisée par une bande magnétique, sur laquelle est enregistré un texte parlé, et par un film fixe, où l’on trouve autant de vues que de répliques enregistrées sur la bande. Les élèves passent au laboratoire de langues, où chacun dispose d’une cabine individuelle; un magnétophone à double piste fait entendre les modèles et permet à l’élève d’enregistrer sa propre prononciation. L’image sert de moyen terme entre la chaîne parlée et le sens qu’elle véhicule. L’image n’est donc pas une fin en soi. Sa compréhension est renforcée par une stratégie pédagogique dans laquelle la répétition des structures linguistiques et leurs rapprochements analogiques jouent un rôle décisif. Les images sont un simple stimulus pour l’expression orale; et la démarche vise à se détacher de ce support pour laisser place à des échanges oraux.

La qualité de la prononciation, la maîtrise des structures linguistiques associées à des situations visuelles précises sont à mettre au crédit des méthodes audiovisuelles de langues, qui facilitent le montage d’habitudes verbales acquises par la répétition de mécanismes exprimant des réponses typées à des stimuli donnés. En revanche, la «fluidité verbale» et l’adaptation spontanée des structures linguistiques aux modifications des situations donnent lieu à des résultats moins spectaculaires. L’objection des grammairiens générativistes prend ici tout son sens: si l’élève n’a pas la conscience claire des processus combinatoires qui commandent l’assemblage des unités sur l’axe syntagmatique du discours, il reste incapable d’engendrer la multiplicité des phrases qui sont virtuellement contenues dans les quelques unités qu’il a déjà à sa disposition. Cette difficulté incite à modifier la constitution de l’image stimulus. L’image n’est plus le moyen d’illustrer une situation pour dénoter plus commodément les signifiés généraux auxquels renvoient les signifiants d’une langue particulière. Elle se doit de signifier les relations intrinsèques entre les éléments de la langue. En bref, l’image n’est plus un simple intermédiaire pour faciliter une performance, mais un moyen spécifique pour faire accéder à une compétence.

Ces brèves remarques témoignent suffisamment de l’étroite interaction entre la sémiologie et la linguistique. La pensée contemporaine, précisément, s’interroge sur le langage, tout autant que sur l’image. Or les techniques audiovisuelles les plus complexes (cinéma et télévision) jouent conjointement avec les stimuli visuels et avec les stimuli sonores. On a trop dit que le XXe siècle est le «siècle de l’image», pour opposer artificiellement le prétendu monde moderne de l’«iconosphère» au monde traditionnel de la «logosphère». En fait, le vrai problème, le problème fondamental, c’est celui de l’articulation des images et du discours.

La réflexion sur l’impact des mass media retrouve le même problème. L’environnement audiovisuel généralisé, ce qu’on est convenu d’appeler l’«école parallèle», peut répondre aux exigences d’une éducation permanente rendue inévitable par le développement accéléré du savoir et des techniques modernes d’information. En effet, écrit M. Souchon, «les moyens de communication de masse (ou mass media) sont les instruments techniques modernes qui permettent (grâce surtout à la technologie électrique et électronique) de transporter très rapidement l’écrit, la parole, le son ou l’image, et de transmettre à un très grand nombre d’hommes les mêmes messages, informatifs, instructifs ou distrayants».

Dans ce contexte, prosélytes ou détracteurs des mass media se rejoignent pour constater l’avènement, heureux selon les uns, malheureux selon les autres, d’une ère nouvelle dont on a pu dire qu’elle inaugurait une «culture en mosaïque» fort différente de l’ancienne «culture en réseau». Celle-ci veut être une culture en compréhension, en profondeur, fondée sur la maîtrise de relations fréquentes et fortes entre les éléments de connaissance. Le savoir se constitue par déduction à partir de concepts fondamentaux. L’intégration de ce savoir s’opère par un processus de généralisation et tend vers un système totalisant. Par opposition à cette culture humaniste et classique, la culture moderne, dite en mosaïque, est une culture en étendue, en extension. C’est un conglomérat semi-aléatoire d’éléments disparates et très nombreux. L’intégration de ce savoir se fait par des essais et des erreurs, par des inductions successives, et elle tend vers un catalogage (voir A. A. Moles, Sociodynamique de la culture ). Pour les uns, cette culture en mosaïque devrait enrichir considérablement le stock d’informations mis à la disposition du public. Les autres y dénoncent un risque et craignent que ce flux d’informations ne puisse être endigué par ce même public, et qu’il ne le conditionne à son insu.

De la technologie à la sémiologie

Le problème ainsi posé oblige à dépasser l’approche initialement technologique des médias pour l’englober dans une approche sémiologique. Le respect de la problématique des signes constitutifs des messages est une des principales conditions de possibilité de l’emploi efficace des médias. La distinction entre «signes iconiques» et «signes digitaux» favorise une étude plus pertinente des messages que les habituelles classifications technologiques des médias. La question revient à étudier les mérites respectifs des mots et des images. S’opposant à ceux qui professent trop naïvement la supériorité de l’image, Jean Piaget critique le «verbalisme» de celle-ci et condamne «une pédagogie fondée sur l’image» qui, même enrichie par le dynamisme apparent d’un film, «demeure inadéquate à la formation du constructivisme opératoire, car l’intelligence ne se réduit pas aux images d’un film» (Psychologie et pédagogie ). Effectivement, la connaissance ne se réduit pas à une somme d’informations mémorisées. Elle implique plutôt l’appropriation de l’objet par un jeu d’opérations qui favorisent l’élaboration d’un savoir constituant. En ce sens, Piaget a raison de condamner les pratiques audiovisuelles courantes, pratiques renforcées par une idéologie qui privilégie la technologie éducative comme moyen de diffusion massive d’informations. Cette condamnation ne peut cependant pas être étendue à une pédagogie audiovisuelle qui intégrerait les acquis récents, mais solides, d’une recherche audiovisuelle dont la problématique transcende l’aspect figuratif, illustratif, de ses premières démarches. Car l’image peut et doit devenir, à l’égal de tout autre objet, l’occasion d’opérations qui autorisent une activité intelligente. L’image «fait signe». Et, comme le dit excellemment U. Eco, «si le signe a des propriétés communes avec quelque chose, il les a non avec l’objet, mais avec le modèle perceptif de l’objet; il est constructible et reconnaissable d’après les mêmes opérations mentales que nous accomplissons pour construire le perçu, indépendamment de la matière dans laquelle ces relations se réalisent» (La Structure absente ). La perception, comme le montre E. Vurpillot (Le Monde visuel du jeune enfant ), procède selon des stratégies d’exploration relevant du principe d’économie, et donc d’une certaine logique. Il n’est certes pas sans intérêt d’évaluer ce qui reste dans la mémoire d’un individu qui est exposé au flux quotidien des messages télévisés. Cette approche du problème permet d’étudier la genèse de cette nouvelle «culture en mosaïque» qui se caractérise par l’abondance d’informations perçues de façon disparate. Les informations ainsi mémorisées ne garantissent pas, cependant, la compréhension des messages. Ce sont plutôt les opérations qui, structurant les informations dans un réseau de relations, leur donnent un sens, les constituent et les fixent en des connaissances. S’il en est ainsi, on ne voit guère pourquoi les codes de formalisation logico-mathématique resteraient totalement étrangers à la compréhension en profondeur de ce qui est donné en surface au moyen des codes de mise en forme perceptive. C’est dire que, si l’image requiert une mise en forme perceptive et sensorielle, son appropriation n’exclut nullement une formalisation rationnelle abstraite.

La preuve en est que les derniers développements technologiques permettent enfin l’articulation de l’audiovisuel traditionnel, considéré jusqu’ici comme la base d’une culture en mosaïque, et de l’informatique, dont la logique binaire réactualise en quelque sorte une culture en réseau. Les technologies audiovisuelles s’informatisent. La génération d’images par calcul se banalise, comme en témoigne la production de films assistée par ordinateur. L’image n’est plus réduite à n’être qu’une représentation du monde perçu. Elle peut être construite à partir d’une matrice de chiffres. Le statut de l’image s’en trouve radicalement transformé. Les technologies audiovisuelles ne sont plus condamnées à ne reproduire (fût-ce avec toutes les sophistications liées aux trucages cinématographiques classiques) que des formes préexistantes dans le monde de la perception. L’évolution des techniques électriques et informatiques, la maîtrise du «digital» et des combinatoires qui en résultent favorisent la création de «modèles» abstraits originaux susceptibles d’être donnés à voir sous forme «analogique». Les technologies audio-visuelles conservent ainsi l’attrait sensoriel de leurs messages originels, mais elles acquièrent des potentialités de créations originales qui, jusqu’à une période récente, étaient encore insoupçonnées.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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